[Chronique] – Nite Flights by The Walker Brothers

Personnage insaisissable, énigmatique, Noel Scott Engel, connu sous son nom de scène, Scott Walker, n’est évoqué que rarement comme influence majeure. Pourtant sa voix de velours, digne des grands crooners, tout aussi envoutante que déconcertante ainsi que son génie musical ont inspiré nombreux artistes, de Brian Eno, à Radiohead en passant par Jarvis Cocker (Pulp) ou the Last Shadow Puppets ! Mais surtout, un artiste qui a lui-même par toute sa carrière et par son image ont su fortement influencer le monde musical jusqu’à aujourd’hui, c’est bien évidemment David Bowie.

Dans cette chronique, j’aimerai rendre hommage à Scott Walker décédé le 22 mars 2019, et montrer une partie de la carrière d’une de mes idoles qu’est Bowie dont j’ai remarqué les documentaires n’évoquent quasiment jamais leur relation à ces deux panthéons musicaux.

Une icône non idolâtrée

Avant d’influencer, Scott Walker avait une idole : Jacques Brel. Il a été un des tous premiers à reprendre ses textes traduites en sa langue maternelle par Mort Shuman en 1967, avec le mythique « if you go away » (Ne me quitte pas).

Et quel autre grand artiste à nom de scène a aussi pour modèle le chanteur belge ? Eh oui, David Bowie ! A travers les reprises de Walker, le jeune David Jones s’éprend également pour Brel. Un « pont » (d’Amsterdam) se crée entre les deux artistes qui ne cesseront de s’admirer et de s’influencer. Voici, une autre reprise du répertoire de Jacques Brel : My death.

My death par Scott Walker

My death par David Bowie (live)

On ressent toute l’aura de Scott Walker dans les travaux de Bowie autant pour Lodger (1978) que vers les années 90 (notamment pour Black Tie White Noise en 1993 où Bowie reprend Nite Flights, dont je parlerai plus bas) mais c’est surtout dans son ultime chef d’oeuvre, Blackstar. David reprend de chez Walker, cette voix glaciale, sublimée d’un lyrisme doux tout à la fois marquée d’une théâtralité dramatique.

Je n’ai pas encore terminé sa discographie, bien que j’en ai parcouru une grande partie. La période très crooner et pop dans les années 60s, je retiens Scott 2 et Scott 4 qui restent des classiques incontournables pour l’époque. Quant à l’album Climate of Change (1986), lui, s’écoute plus facilement, et figure comme l’album le conventionnel de sa discographie.

Je pense vraiment le gros tournant de sa carrière débute dans les années 90 où sa ligne créatrice s’ancre dans l’avant-gardisme et l’expérimental. Les albums TILT (1995) et The Drift (2006) peuvent être difficile à l’écoute mais ils regorgent d’une puissance et d’une musicalité hors du commun. Il nous fait prendre conscience de l’importance du silence, il remplace les instruments par des bruits, des samples d’objets ou d’animaux et n’hésite pas à pousser encore plus en plaçant des orchestrations minimalistes. The Drift, par exemple, dépeint une scène digne d’un film apocalyptique, d’un décors morbide, où j’imagine un héros seul contre des monstres très effrayants.

Un titre qui m’a énormément marqué de l’album The Drift : Psoriatic et m’évoque beaucoup les derniers travaux du major Tom.

Mais pourquoi n’ai-je connu Scott Walker que très récemment ? Ce n’est que début 2021 que j’ai vu son nom lorsqu’une amie me fait écouter The Electrician. C’était inattendu. Un coup de coeur, dont je n’avais pas eu depuis un moment. Scott Walker délivre déjà un avant-goût de ce qu’il va préparer plus tard dans sa carrière dès l’album Nite Flights.

NITE FLIGHTS (1978)  – où quand Bowie et Walker ne font qu’un

Je pense que c’est la meilleure façon de vous introduire son univers. Certes, je ne propose pas ici un album solo mais fait avec son groupe pop américain, the Walker Brothers. Je précise qu’ils ne sont pas du tout frères. Mais pour s’amuser, ils ont voulu se nommer ainsi. Le groupe se forme dans les 60s pour se séparer et se reformer mi-70s. Il se compose de : Scott Walker, John Walker (John Maus) et Gary Walker (Gary Leeds) et ont sorti ensemble 7 albums.

The Walker Brothers (photo : (c) The Guardians)

Sur le label GTO Records, Nite Flights est produit par Scott Walker et Dave MacRae. Il contient 10 titres, pour 38 minutes. Cet album peut se diviser en trois parties, car justement chaque membre a écrit leurs propres chansons.

Les quatre premières sont de la plume de Scott Walker et demeurent les véritables ovnis et les plus élaborés de l’album avec un côté très Art pop. Même si le reste est différent et moins recherché, je trouve qu’il y a une certaine alchimie. Je trouve cela incroyable que l’ensemble soit cohérent malgré les styles divergents de chaque membre.

D’où le fait que je le trouve très surprenant et également significatif de la musique fin 70s : expérimental, avant-gardiste et pop. On y trouve à la fois de l’électro, des notes rock, ce qui va poser le décors de la new wave et plus encore de l’art-pop.

L’album m’évoque la nuit, plus encore, un tunnel. Au début c’est la pénombre, l’ambiance est froide, métallique puis plus on traverse ce tunnel plus les titres qui défilent sont chaleureux, avec une ambiance de paillettes plutôt disco.

Pour qu’un album arrive à me convaincre, la première track se doit être décisive et mémorable. Shutout remporte le pari, donnant direct la couleur (bon certes, noire…). On commence d’emblée ! Une bassline aux allures disco, une guitare lancinante. A la première écoute, sans savoir que Bowie avait influencé Walker à ce moment là, j’ai eu la sensation d’entendre un titre de l’album Heroes.

Fat Mama Kick, aux rythmiques plus jazzy, me rappelle Station to Station. J’écoute, je me laisse emporter, la batterie m’obsède. Plus fort encore, le saxophone dissonant qu’on entend me fait complètement penser au Major Tom.

La piste se termine en fondu, puis vient le fameux titre éponyme. Nite Flights m’a complètement bouleversé, et je comprends que Bowie et Walker là dessus ne font qu’un. On aurait dit une ré-interprétation du titre Heroes par Scott, rien que par la bassline et la drumline. Mais ce n’est pas un hasard que les titres sonnent autant comme Heroes, puisque Scott avait fait écouté à son groupe et l’équipe d’ingénieurs de son en studio. Il ne manquait finalement que l’excentricité d’un Brian Eno pour recréer l’ambiance parfaite.

Nite Flights – l’original

Nite Flights – la cover

Son interprétation du morceau n’est pas une simple reprise. Il s’agit de rendre la chanson contemporaine, par exemple par les beats très caractéristiques des 90s. David Bowie s’approprie complètement le titre. En plus vous pouvez entendre Bowie parler de Scott au début de la vidéo.

Or, Scott n’a rien à envier à Eno. Le morceau déterminant arrive, et celui-ci surpasse en quelque sorte tout ce qu’on a entendu jusqu’à ce moment-là. La quatrième et dernière pièce de Scott, The Electrician. Tout son génie se retrouve dedans. Walker y mélange ses influences Brel, les orchestrations, le côté électro-glaciale à la Low de David Bowie pour créer son propre univers et ainsi nous offrir un aperçu de ses travaux dans les 90s.

Le morceau commence par des instruments à cordes atonales (désorganisée en tons), une basse puissante et le chant baryton de Scott arrive. C’est une chanson d’amour mais interprétée de façon dramatique, avec une sorte de désespérance dans sa voix et une instrumentation dissonante.

J’ai l’impression que Walker, à travers the Electrician cherche à interpeller Bowie, et le pousse au challenge « penses-tu faire mieux cette fois-ci? ». Bowie s’est construit à travers Walker, et je pense qu’il a été un de ses principaux moteurs dans son processus de création. Vous l’avez entendu, rien qu’au chant déjà !

Et puis tout s’essouffle…

Ainsi, doucement on entrevoit le bout du tunnel interstellaire, le climax étant atteint. On redescend doucement sur terre, avec Death of Romance, titre de Gary (Leeds) Walker. Nettement inférieur à ce qu’on a pu écouter avant, j’apprécie tout de même ce morceau, qui arbore une forte énergie Thinwhiteduke-esque (Thin White Duke étant un autre alter-ego de Bowie) avec ce saxophone apportant la touche sexy (de toute façon, un saxophone c’est pour rendre sexy, sexyphone oh yeah… bon je me calme).

Vocalement, aussi on est sur quelque chose de plus classique des années 70s mais c’est tout aussi appréciable. Den Haague est dans le prolongement, plus calme par contre et un cran en dessous quand même. Mais, c’est encore assez sensuel.

Enfin, Rhythms of Vision, Child of Flames et Fury and the Fire, par John (Maus) Walker sont vraiment trop classiques, aux allures rock avec le typique orgue façon Deep Purple au premier et typiquement disco avec ses legato strings pour le deuxième (sa manière de chanter dessus me rappelle même Elton John…). Disciples of Death est la plus originale des quatre selon moi.

Je ne dis pas que c’est mauvais, j’aime vraiment Nite Flights dans son ensemble mais il y a un vraiment un très gros écart entre l’univers Scott Walker et ce que nous propose Gary et John. Mais, tout reste cohérent car je retrouve la même énergie, des instruments en commun (strings, saxophone, piano notamment) et je pense que la production y est pour quelque chose (Walker faisant parti de l’équipe). Les morceaux complètent judicieusement l’album et se concordent.

Je hais attribuer des notes surtout pour ce cas assez atypique. Cependant, je le qualifierai tout de même de « MUST TO LISTEN ». Il doit être écouté au moins une fois dans votre vie, surtout quand on est fan de David Bowie.

Quand écouter cet album : en voiture vers le crépuscule tout en roulant vers la nuit…

Pour compléter vos lectures :

J’espère que cette chronique vous a plu ! Je n’ai plus écrit sur la musique depuis longtemps. N’hésitez pas à me faire part de vos avis ici en commentaire ou par e-mail sur boredpressplay@gmail.com ! (sinon vous avez les réseaux sociaux !)

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